Le TUE tranche : un ‘K’ peut-il être la différence entre deux marques ?
Qui aurait imaginé qu’une simple lettre puisse déclencher un tel bras de fer juridique ? Et pourtant, c’est bien ce qui s’est passé dans une affaire qui a récemment retenu l’attention des tribunaux européens. En novembre 2022 (affaire T-610/21), le Tribunal de l’Union Européenne (TUE) a été amené à trancher un litige relatif à la protection d’une marque d’une seule lettre opposant : la marque « K » de Monsieur Heinze et la marque « K K Water » de L’Oréal, toutes deux déposées pour des produits capillaires classe 3.
Un duel de LETTRE
Monsieur Heinze, fier propriétaire de la marque « K » pour ses produits capillaires, voit débarquer un concurrent de poids : L’Oréal, qui souhaite enregistrer la marque « K K Water ». Pour lui, c’est un coup dur. Il estime que cette nouvelle marque est bien trop proche de la sienne et risque de semer la confusion chez les consommateurs. En d’autres termes, il craint qu’un acheteur, en voyant « K K Water » sur un produit, pense à tort qu’il s’agit d’un produit de sa marque.
C’est ce qui s’appelle un risque de confusion, un concept central en droit des marques. Si ce risque est avéré, le dépôt de la nouvelle marque peut être refusé pour protéger les droits du premier déposant.
Monsieur Heinze décide donc de se défendre. Il saisit l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) pour s’opposer au dépôt de la marque de L’Oréal. Malheureusement, dans un premier temps, il essuie un échec. La division d’opposition de l’EUIPO ne retient pas ses arguments.
Mais Monsieur Heinze ne lâche pas l’affaire. Il fait appel de cette décision devant la chambre de recours de l’EUIPO. Et là, surprise ! La chambre de recours lui donne raison, estimant que les deux marques sont effectivement trop similaires pour coexister sans créer de confusion.
Victoire en demi-teinte. Car L’Oréal, loin de se laisser abattre, décide de porter l’affaire devant l’instance suprême en matière de marques au sein de l’Union européenne : le Tribunal de l’Union européenne (TUE). C’est là que va se jouer la dernière manche de ce duel de marques.
La décision du TUE : une analyse nuancée
Dans son arrêt, le TUE a finalement donné raison à L’Oréal. Selon le tribunal, bien que la lettre « K » soit un élément commun aux deux marques, les éléments supplémentaires « K Water » apportent une nuance suffisante pour distinguer les deux signes. En effet, le graphisme de la lettre « K » et les couleurs utilisées dans les deux marques sont différents. De plus, la présence de « K Water » dans la marque de L’Oréal crée une différence sonore.
Le tribunal a également souligné les différences visuelles et sonores entre les deux marques, ainsi que le fait que la marque « K » dispose certes d’un caractère distinctif intrinsèque normal mais cela ne lui confère pas un monopole sur l’utilisation de cette lettre pour l’ensemble de cette classe de produits (classe 3).
Les enjeux de cette décision
Cette décision nous amène à nous poser des questions fondamentales sur le monde économique. En protégeant trop strictement les marques, nous risquons de créer des monopoles sur des éléments simples, comme une seule lettre. Imaginez si chaque lettre de l’alphabet était protégée par une marque ! Cela freinerait considérablement l’innovation et empêcherait de nouvelles entreprises d’émerger. D’un autre côté, si on protège trop peu les marques, les entreprises ne seront pas incitées à investir dans leur image et à développer des produits de qualité. C’est un équilibre délicat à trouver. Cet arrêt du TUE nous rappelle que la protection des marques est un domaine complexe qui nécessite une analyse fine et nuancée. Si une marque courte peut bénéficier d’une certaine protection, elle ne donne pas pour autant un droit exclusif sur un caractère alphabétique. Cette décision devrait inciter les entreprises à faire preuve de plus de créativité dans le choix de leurs marques afin d’éviter les conflits.
Cette décision est une véritable leçon de droit des marques. Elle nous montre que chaque dossier est unique et qu’il faut l’analyser avec la minutie d’un horloger. Les juges ont dû examiner tous les éléments, du graphisme des logos à la sonorité des mots, pour démêler ce petit fil d’Ariane juridique.
Elle vous permettra d’appréhender plus sereinement les oppositions parfois farfelues déposer par les propriétaires de marques courtes à l’encontre de nouvelles marques composées reprenant notamment un élément de ladite marque courte. Y compris quand les classes pour lesquelles la marque nouvelle est demandée coïncident avec celles sur lesquelles la marque courte est protégée.
En tout état, face à la complexité du droit des marques, il est essentiel de vous entourer de professionnels compétents dans le choix de la protection de votre propriété intellectuelle. Le Cabinet BUEDER AVOCAT met à votre disposition son expertise pour défendre vos intérêts et vous accompagner dans toutes vos démarches.
N’hésitez pas à prendre rendez-vous pour échanger sur vos projets de propriété intellectuelle.